Le cerveau des enfants nés à l'heure du digital est-il différent ? A-t-il gagné ou perdu des aptitudes ? Réponses du psychologue et spécialiste du développement de l'enfant Olivier Houdé.
 Face aux écrans, et du coup dans la 
vie, les natifs du numérique ont une sorte de TGV cérébral, qui va de 
l’œil jusqu’au pouce sur l'écran. © Catherine Delahaye / Photononstop / 
AFP
         Face aux écrans, et du coup dans la 
vie, les natifs du numérique ont une sorte de TGV cérébral, qui va de 
l’œil jusqu’au pouce sur l'écran. © Catherine Delahaye / Photononstop / 
AFP
       
La génération Z (12-24 ans), qui a grandi avec les jeux vidéo
 et les téléphones portables, a gagné des aptitudes cérébrales en termes
 de vitesse et d’automatismes, au détriment parfois du raisonnement et 
de la maîtrise de soi, explique le professeur de psychologie Olivier 
Houdé. Dans cet entretien accordé à l'AFP, le directeur du Laboratoire 
de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant du CNRS-La
 Sorbonne (LaPsyDé) et auteur du livre "Apprendre à résister" (Le 
Pommier), il préconise un apprentissage adapté à ces mutations. 
Le cerveau des enfants nés à l’heure du digital est-il différent ?
Olivier Houdé : Le cerveau reste le même, mais ce 
sont les circuits utilisés qui changent. Face aux écrans, et du coup 
dans la vie, les natifs du numérique ont une sorte de TGV cérébral, qui 
va de l’œil jusqu’au pouce sur l'écran. Ils utilisent surtout une zone 
du cerveau, le cortex préfrontal, pour améliorer cette rapidité de 
décision, en lien avec les émotions. Mais cela se fait au détriment 
d’une autre fonction de cette zone, plus lente, de prise de recul, de 
synthèse personnelle et de résistance cognitive.

© J.Bonnard/E.d'Epenoux/I. de Véri jub-etb/vl / AFP
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Qu’appelez-vous "résistance cognitive" ?
Il y a en fait trois systèmes dans le cerveau humain. L’un est 
rapide, automatique et intuitif, très sollicité aujourd’hui par les 
écrans. Un deuxième est plus lent, logique et réfléchi. Un troisième, au
 niveau du cortex préfrontal, permet d’arbitrer entre les deux premiers 
systèmes : c’est le cœur de l’intelligence. Il permet d’inhiber les 
automatismes de pensée quand on doit faire appel à la logique ou à la 
morale. C'est la résistance cognitive. Inhiber, c’est résister. Les 
natifs du numérique doivent réapprendre à résister pour bien penser.
Comment cela peut-il se traduire dans la vie des enfants ?
C’est un processus remarquable d’adaptation, de prise de recul qui 
permet de résister à ses réponses impulsives. Le cerveau résiste à 
lui-même. Mais la maturation de ce processus est lente au cours du 
développement de l’enfant et de l’adolescent.
 C’est pourquoi il faut l’éduquer et même l’entraîner intensivement à 
l’école ! C’est ce que j’appelle "apprendre à résister", une pédagogie 
du contrôle cognitif. Nous l’avons démontrée en laboratoire, mais il 
reste encore à imaginer toutes ses applications à l’école. C’est utile 
pour le raisonnement, la catégorisation, mais aussi la lecture, les 
maths, etc.
Ce mécanisme cérébral peut-il avoir une utilité sociale ?
Il permet, par exemple, d’éviter des décisions absurdes, parfois 
collectives, en entreprise. Il permet aussi de résister, dans nos 
démocraties, aux croyances erronées : les mythes du complot par exemple,
 ou des stéréotypes bien ancrés. Et la résistance cognitive est aussi un
 facteur de tolérance. Elle permet l’intelligence interpersonnelle, 
c’est-à-dire la capacité de faire taire son propre point de vue pour 
favoriser celui d’autrui. Quand les attentats de janvier 2015 à Paris 
conduisent à parler de "déradicalisation", c’est de cette résistance 
cognitive qu’il s’agit. Éduquer le cerveau, c’est lui apprendre à 
résister à sa propre déraison. Un vrai défi pour les sciences cognitives
 et pour la société d’aujourd’hui.

 

 
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