Texte complet en format PDF à télécharger en cliquant sur :Docteur et al et Mister Hack
Nous vivons une transition fulgurante qui modifie considérablement le monde dans lequel nous vivons. Elle déstabilise notre place au cœur de nos écosystèmes organisés et nous oblige à changer de posture pour revoir en profondeur nos modes de fonctionnement. Voilà qui pourrait résumer la thèse défendue dans l’ouvrage de Pierre GIORGINI, Président-recteur de l’Université Catholique de Lille, « La transition fulgurante » (Editions Bayard, 2014) et qui a inspiré le contrepoint que je vous livre ici, davantage illustré par de petites expériences de terrain que par de grandes démonstrations.
J’ai choisi d’introduire mon propos en utilisant les vertus de la métaphore telles qu’elles sont rappelées au début de l’ouvrage en question. Il me fallait pour cela trouver une histoire qui puisse illustrer un concept, une idée que je souhaitais développer, en l’occurrence le pouvoir des méthodes de créativité en matière d’innovation pédagogique et l’articulation que je trouve essentielle entre les modes d’organisation en mode maillé coopératif et les autres, plus linéaires et traditionnelles.
N’ayant pas réussi, malgré les quelques aptitudes de mon cerveau gauche à rechercher de manière bibliographique la moindre petite fable existante, je me suis tourné vers le pouvoir créatif de mon cerveau droit pour en inventer une. Peine perdue. Je me décidais donc de les faire interagir tous les deux en mode coopératif, utilisant leurs capacités complémentaires de pragmatisme et de créativité, pour en « bidouiller » une qui soit originale. Voici donc le résultat de cette cogitation sous la forme d’un conte inspiré du réel et intitulé pour l’occasion « L’étrange cas du Docteur et al. et de Mister Hack ».L’étrange cas du Docteur et al. et de Mister Hack. Nous sommes dans le Nord de la France, il y a de cela bien longtemps, au début du XXIème siècle. Le Docteur et al. menait une carrière honorable d’enseignant-chercheur à l’université. Il travaillait dans le quartier Vauban, non loin du centre-ville, où il enseignait la biologie cellulaire et moléculaire. Tout se passait plutôt bien pour lui. Ses travaux académiques lui avait permis d’obtenir son doctorat, puis de passer quelques années plus tard une habilitation à diriger des recherches, soit un parcours tout à fait normal pour un professeur d’université.
Ses cours en facultés de sciences et de médecine, comme en écoles d’ingénieurs, lui plaisaient bien. Il pensait que tout cela continuerait tranquillement. Mais ce ne fût point le cas. Une rencontre inattendue, pour ne pas dire improbable, avec des collègues aux fréquentations bizarres, adeptes de pratiques d’innovation et de codesign, lui brouilla l’esprit. Lui d’habitude si bien aguerri aux méthodes de réflexion et de travail linéaires se dit qu’il y avait là peut-être quelque chose d’intéressant à explorer ? La fibre du chercheur sans doute ?
Il se plongea alors dans de nouvelles lectures, s’intéressant à la dualité des hémisphères cérébraux, le gauche qu’il connaissait bien et qui lui avait permis d’avancer dans la carrière académique et le droit qu’il avait utilisé, plus jeune, lorsqu’il était animateur ou directeur de centres de vacances. Il se mit à redécouvrir les capacités incroyables de ses deux organisations cérébrales à interagir avec leurs fonctionnalités spécifiques, ce qui le conduisit à mener de nouvelles recherches, mais cette fois-ci bien éloignée de la biologie.
Il se retrancha progressivement dans son laboratoire, transformé pour l’occasion en une salle d’expérimentation pédagogique. Il fût accaparé par de nouvelles idées sur la dualité de « l’académique » et de « l’innovant » dans les méthodes d’apprentissage. Ses nouvelles découvertes et leurs théories en la matière ne faisaient pas l’unanimité auprès de ses confrères, certains plus conservateurs que d’autres.
Après de longs mois de recherche, cloîtré dans son nouveau Learning lab. ou participant à des voyages apprenants, bien au-delà de l’hexagone, le Docteur et al. se décida à expérimenter sur lui-même une nouvelle méthode d’enseignement… recette qu’il avait mise au point secrètement. Il décida que ce serait lors du second semestre universitaire, devant ses étudiants en licence de sciences de la vie. Il sombra alors dans un état semi-conscient peuplé de visions fantasmagoriques.
Il se transforma en une créature peu académique qu’il nomma Mister Hack . Ce nouveau pendant de la personnalité du Docteur et al., d’une créativité incontrôlable, transforma radicalement les étudiants qui eurent la « malchance » de le croiser, très exactement les heures de cours entre 8 et 10 heures du matin. Ceux-ci se retrouvèrent alors obligés de construire leurs enseignements par eux-mêmes et sans qu’il ne leur soit donné aucun document, pas le moindre livre ou polycopié. Mister Hack, heureux de satisfaire ses nouveaux instincts de bidouilleur pédagogique leur lançait régulièrement des «Do it yourself ! ».
Il avait tout prévu pour rendre ses cours méconnaissables, mais tout en les contrôlant. Une transformation « fulgurante » ! Les étudiants « malmenés » par la folie furieuse de ce hacker en herbe, tout particulièrement les « premiers de la classe » qui souffrirent énormément, furent contraints de rédiger leurs chapitres, de se les échanger sur des plateformes numériques, de les apprendre par eux-mêmes, d’imaginer leurs propres questions pour les devoirs surveillés, qui ne le furent plus d’ailleurs,…
et même d’interroger leur nouvel « enseignant » dont le changement de posture en avait fait transitoirement le seul « apprenant » de la classe ! Des devoirs à la maison pour le professeur, voilà jusqu’où la démence de Mister Hack avait poussé la transformation du Docteur et al.. A la fin de chaque séance, ce dernier s’en retournait à son bureau et reprenait pour quelques temps des attitudes académiques, classiques, bref,… celles d’un prof normal ! La métamorphose du Docteur et al. en Mister Hack et inversement dura tout le semestre.
Elle inquiétait certains de ses collègues à l’université qui ne comprenaient pas que l’on puisse enseigner la génétique autrement que par les méthodes académiques, celles qui avaient fait leurs preuves. Bien sûr, les étudiants n’étaient plus les mêmes depuis très longtemps. Ils pouvaient même s’ennuyer en classe. Contre cela, un seul remède,…
il suffisait de les remettre au travail et tout rentrait dans l’ordre. Le Docteur et al. n’était pas vraiment d’un avis différent, mais cette transformation lui fit prendre un autre chemin. Tous les matins des jours où il donnait cours, il arpentait les couloirs le menant aux salles de classe dont il avait transformé certaines en lieux d’expérimentation : tables triangulaires ou surmontées, chaises et tabourets changeant sans cesse de places, tableaux tournants montés sur de petites roulettes, écritures et schémas taggués sur les murs, projections informatiques aux quatre coins de l’espace… et que dire de ses nouvelles inventions toutes plus folles les unes que les autres : QCM intelligents, interrogations inversées, devoirs non surveillés 100% DIY, « tricherie » obligatoire, serious game pour élire le top 5 des chapitres,… de quoi donner le tournis.
La fin de l’année universitaire qui arriva en son temps remit doucement les choses en ordre. Les étudiants ayant survécu à la transformation de leur maître passèrent leurs examens, puis s’en allèrent poursuivre leurs études sous d’autres cieux académiques, bien plus calmes. Heureux d’avoir échappé à cette folie pédagogique pour les uns. Nostalgiques pour les autres. Allez savoir… Mister Hack qui redevint Docteur et al., s’imagina alors être sorti de ses obsessions d’innovations.
Il pensa que sa vie de professeur académique reprendrait le dessus. Mais il n’en fût rien. Ses métamorphoses ne cessèrent plus, tant il trouvait du plaisir à redevenir hacker pédagogique, ne serait-ce que le temps d’un cours. Tout naturellement, il s’aperçu que lui et Hack ne faisaient plus qu’un et que cela recommencerait chaque année. Une seule question, tout de même, le hantait. Et si son dédoublement de personnalité était contagieux ? Que se passerait-il ? Qui pouvait lui assurer qu’à son contact, certains de ses collègues ne sombreraient pas aussi dans la folie des classes inversées, renversées,… bouleversées ? La fin de l’histoire ne le dit pas, mais l’auteur de cette légende en a sa petite idée !
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