vendredi 12 décembre 2014

Comment bien parler Facebook ?

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Facebook par Mister Thoms

Comment bien parler Facebook

Le vocabulaire Facebook par Facebook

Le 2 décembre 2014 au matin. Dans la froideur de l’hiver à Paris, des journalistes et rédacteurs de sites Web/blogs se pressent devant le 59 rue de Rivoli, lieu alternatif de la capitale pour assister à la présentation de l’étude ZoomOn (SoLocal, ex-Pages Jaunes) / Harris Interactive sur l’information positive, plus connu sous l’expression générique journalisme de solution, journalisme constructif ou encore impact journalism dans le monde anglophone.

Autour la table basse, Blaise Mao, rédacteur-en-chef adjoint du magazine Usbek & Rica (“projet qui interroge le progrès”), Gilles Vanderpooten, directeur de l’association Reporters d’espoir (“nous faisons du journalisme de solution avec une approche critique”), une représentante de ZoomOn, marque numérique de SoLocal Group (“nous publions sur nos pages Facebook des infos utiles et adresses “feel good””) ainsi qu’un intervenant collaborateur de Facebook, Franck DaSilva (directeur commercial Marketing Solutions) avec l’animation bienveillante du panel par Jean-Marie Charon sociologue spécialisé dans l’étude des médias et du journalisme (“l’information est devenue une ressource”).

Monsieur Ubu par Alfred Jarry

Facebook, ubu roi de la table-ronde ?

Surprise de la thématique du petit déjeuner, on peut se demander pourquoi Facebook se retrouve représenté comme intervenant dans cette “conférence” avec un panel de médias. On comprend vite que Facebook a LE statut de support médiatique à part entière et qu’il est incontournable.

Le journalisme de solutions, c’est quoi ?

Au sein de ces invités à prendre la parole, Jean-Marie Charon va rester d’une grande neutralité en évitant d’opposer d’un côté Facebook et de l’autre, les 2 représentants du journalisme “positif”. Pendant 1h30, cette attitude “zen” va se vérifier dans les propos des intervenants.

Chacun reste dans son sujet, évoque son support médiatique en définissant le journalisme de solution, son intérêt pour ce type d’approche du traitement des sujets “qui réenchante le quotidien des français” selon la représentante de ZoomOn, avec une “approche critique” comme l’indique Gilles Vanderpooten et pour “donner des clés d’analyse du monde” selon Blaise Mao.

You Like?

L’ogre Facebook fait peur aux médias

La presse écrite et audiovisuelle dans l’assistance écoute patiemment la parole de chacun ; celles des journalistes mais porte bien évidemment une oreille plus attentive au représentant de Facebook et aux “vérités” qu’il va prononcer.
Oui, car après tout, Facebook semble avoir de plus en plus la mainmise sur la visibilité ou non de l’info de ces mêmes médias (via les pages Facebook des supports médiatiques) ; une visibilité qui génère un apport d’audience non négligeable en “référants” pour leurs portails.

Facebook avec ses 29 millions d’utilisateurs actifs en France est incontournable pour les médias!
Sauf que Usbek et Rica ainsi que Reporters d’Espoir n’évoqueront pas Facebook durant la table-ronde… Sans doute à la grande déception de Facebook… Ignorer Facebook : un quasi-sacrilège!

“J’aime” les pages Facebook

1% de portée (“reach”) pour les publications sur les pages Facebook en France

Les premiers mots sur Facebook viendront de SoLocal / ZoomOn puisque cette marque gère et développe sa présence médiatique (qui se veut aussi un modèle économique) via 67 pages Facebook, principalement des espaces Web consacrés aux grandes villes de France avec une mise en avant de contenus sur la vie locale sous la forme de “posts” (bons plans).
ZoomOn a choisi Facebook comme support médiatique avec ses avantages (le potentiel d’inscrits à la plate-forme) mais aussi ses freins (comme toute organisation présente sur le service en ligne) dont la maîtrise de A à Z par Facebook de la visibilité des contenus des pages ZoomOn.

Certes “ZoomOn, c’est 67 communautés qui représentent 2 millions de fans Facebook, qui sont 5 fois plus engagés que la moyenne nationale constatée”.

Faites du reach!

Mais qu’est-ce que la moyenne nationale constatée (selon Facebook Analytics) ? 1%… Donc 5% de taux de “reach” pour ZoomOn sur ses pages (soit 100 000 personnes actives sur ses pages, un taux donc très faible pour cet acteur d’autant plus qu’il investit dans de la publicité sur Facebook) et un chiffre ridiculement bas de 1% de portée (“reach”) pour les pages Facebook en France.

Le reach, c’est-à-dire la portée en français, est définie par “le nombre de personnes ayant vu votre publication.” A préciser : “Votre publication est comptabilisée comme ayant atteint une personne lorsqu’elle est affichée dans son fil d’actualité. Les chiffres portent sur les 28 jours suivant la création de la publication et comprennent les personnes qui ont vu votre publication sur la version de bureau et sur la version mobile.”
Le graal de l’organisation investie via une page Facebook est donc de générer du “reach”.

The Wall

Le vocabulaire Facebook par Facebook

Comme différentes plate-formes et marques de réseaux sociaux (Twitter, LinkedIn, Pinterest…), Facebook a développé son propre vocabulaire qui cherche à s’imposer pour façonner la convoitise publicitaire des annonceurs qui sont aussi des utilisateurs de Facebook dans leur diversité.
Ce matin-là au 59 rue de Rivoli, j’ai retenu les phrases suivantes du représentant de Facebook, dans un discours décalé par rapport aux autres intervenants : le parler Facebook avec ses expressions qui explicitent et aussi disent en filigrane ce qu’est cette société de réseau social numérique mais également ses intentions commerciales (qui ne collent bien sûr pas nécessairement avec les souhaits des utilisateurs de Facebook et des entreprises/institutions/associations qui y sont présentes).
Décryptage…

“Facebook est une source d’infos”

La définition proposée d’infos par Facebook est ici galvaudée. Cela correspond à une vision “grand public” du sens commun de l’information.
Il ne s’agit pas forcément d’une information de type journalistique. Ce peut être tout à la fois des publications de statuts d’un individu ou d’une marque (sur des produits, des services, un événement) ou une info journalistique signalée par un média ou un utilisateur de Twitter.

Ce qui compte pour Facebook n’est pas le statut de l’info : l’info, c’est d’abord pour la marque de réseau social de la donnée (“data”) partagée, signalée, commentée, partagée, “likée”… Tous ces gestes qui laissent des traces sur Facebook participent à ce que Facebook appelle une source d’information.
Facebook n’est pas un média à part entière : c’est un agrégateur d’écrits multimédia (textes, images, vidéos) du fait de l’action volontaire de ses utilisateurs que ce soit des personnes physiques ou morales… qui cherche à capter l’attention, à retenir l’attention : pourquoi aller hors Facebook si l’essentiel se trouve dans Facebook ?!

“En France, 29 millions d’internautes engagés, 29 millions d’actualités”

Le chiffre impose. Il montre le respect qu’on doit avoir pour une plate-forme qui réunit autant d’internautes et de mobinautes.
La justification par le chiffre importe pour Facebook : demeurer le n°1 en nombre d’utilisateurs actifs est une priorité de valorisation des profils de la plate-forme pour davantage et mieux vendre de la publicité.
Là aussi, le mot “actualité” recouvre un sens très large et n’est pas pris avec un accent journalistique. Par exemple, un statut Facebook est une actualité.
Après tout, ce que nous voyons qui s’affiche sur la page qui défile sur nos yeux par défaut sur Facebook, c’est un fil d’actualités (“newsfeed”), glissement sémantique habile du fil de nouvelles.

Ami Facebook… Es-tu là?

“On a tous des amis Facebook qu’on ne connait pas”

Ce fut sans aucun doute la plus belle citation de la matinée. Cela montre bien que le mot “friend” sur Facebook ne signifie pas forcément ami.
La personne “ami” Facebook peut être un ami, une connaissance, un suiveur, une vague connaissance, une fréquentation, une accointance… 

La liste peut s’avérer particulièrement longue et quasi-infinie!
En fait, la notion d’ami sur Facebook, c’est chaque internaute-mobinaute utilisateur qui se la construit lui-même en fonction de ce qu’il est, de ses desiderata, des buts — s’il en a — de présence sur cette plate-forme.

Facebook est un buvard : il absorbe indéfiniment les contenus et les “friends”.
Mais cette citation est aussi un aveu d’impuissance : le rêve de Facebook de cartographier le maximum des relations humaines — connexions entre les individus (le graph social) est un idéal qui ne sera jamais atteint par cette entreprise.

“Les Français se connectent 14 fois par jour sur Facebook”

C’est une moyenne annoncée comme telle. Oui, avec un tel taux, on peut se dire que la captation de l’attention fonctionne à plein pour Facebook.
La connexion à Facebook qui peut se faire via un ordinateur mais de plus en plus via un outil mobile (“device”) que ce soit un smartphone, une tablette ou un objet connecté ne signifie pas que l’utilisateur de Facebook est si actif et contributeur : il peut être notifié par Facebook et consulter simplement mais ne pas participer à Facebook… Y laisser juste une trace de connexion : une trace de lecture ou simplement de parcours dans Facebook.
Or, ce qui intéresse Facebook, ce sont des inscrits actifs qui font des actions qui laissent des traces. Fait perpétuel à ne pas oublier.

“Pour les médias sur Facebook, il faut générer de l’engagement”

L’engagement, le mot sera répété à plusieurs reprises par le représentant de Facebook. La définition officielle du taux d’engagement “correspond au pourcentage des personnes qui ont vu une publication et qui l’ont aimée ou partagée, qui ont cliqué dessus ou qui ont ajouté un commentaire.”

Il faut dépasser la lecture pour être “engagé” mais le like importe tout comme le commentaire. Pour Facebook, l’action de l’internaute serait donc plus importante que l’article initial — qui est d’ailleurs rarement affiché intégralement sur Facebook : l’extrait pour inviter à consulter en dehors de Facebook, c’est la règle implicite du média.

Pour Facebook, l’internaute doit réagir : écrire, dire, rediffuser, noter, annoter, légender l’information du média mais ce sont des actions à faire sur Facebook ou avec une identification Facebook… pour impacter sur la visibilité des contenus des médias sur Facebook!
L’envers du décor consiste en une analyse fine des données par Facebook : dans Facebook et sur le site du média si ce dernier utilise l’identification Facebook pour le champ de commentaires ou la “like box” (ce petit module en page d’accueil du portail du média qui invite à aimer la page Facebook de ce même média).

The Cookies Thrashbin

“Il faut dompter l’algorithme de Facebook”

C’est un voeu pieux (et sans doute cynique) que de s’atteler invariablement à cet espoir. Il y a environ 100 000 éléments qui permettent d’établir ce qui est vu sur le fil d’actualités de l’utilisateur de Facebook, une information délivrée par Lars Backstrom (Engineering Manager for News Feed Ranking at Facebook) en 2013.

Bon courage pour ceux qui s’intéressent à décrypter l’“intelligence” de l’algorithme Facebook!
Cependant, Facebook diffuse régulièrement des conseils aux utilisateurs et aux entreprises pour améliorer la visibilité de ses contenus publiés sur Facebook.

Ces signaux de Facebook sont régulièrement distillés via la page Facebook Entreprises qui n’oublie évidemment pas de montrer l’intérêt d’acheter de la publicité sur Facebook ainsi que la Newsroom Facebook.
De nombreux blogs et sites tentent de suivre l’évolution de l’agorithme Facebook tant celui-ci est important pour les médias, organisations et individus qui investissent cette plate-forme en tant que stratégie de présence en ligne (marketing, communication, ecommerce…).
Plus prosaïquement, un simple suivi du terme “facebook news feed” via un moteur de recherche d’actualités fait saisir quelques subtilités de Facebook dans l’évolution en continu de son algorithme.
Tout comme chez le moteur de recherche Google, l’algorithme de Facebook pour la visibilité sur le fil d’actualité du profil Facebook reste un secret absolu… Et les collaborateurs de Facebook en parlent comme un élément extérieur à eux alors qu’ils en sont les promoteurs, les communicants et aussi les acteurs.
Le modèle économique de Facebook repose en grande partie sur cet algorithme ; un trésor de guerre savamment entretenu dans son mystère et sa symbolique!

“On like, on a vu”

Pour une marque de média social, le nirvana est d’avoir un mot “leader” qui s’impose dans la langue au quotidien. C’en est ainsi pour le “like” (“j’aime”) qui a largement dépassé le cadre de Facebook et les frontières du World Wide Web pour se répandre dans les échanges et dans les médias.

Le représentant de Facebook de la table-ronde analyse ainsi le “like” au sein de la plate-forme. “Aimer” n’est donc pas aimer : ce n’est pas forcément un acte d’approbation mais simplement de signification de présence par rapport à ce qui est publié.
Il est ainsi courant de “liker” l’annonce d’un décès.
Position intéressante de Facebook sur cette question du “j’aime” qui montre bien l’ambiguïté même de la fonction au sein de la plate-forme.

Aimer ou ne pas aimer l’article, telle est la question

“Liker c’est montrer qu’on est sensible à l’info”

Liker est une réaction émotionnelle. La fonction est construite autour de la réaction d’un stimuli : peu importe si l’on approuve ou pas le sens du contenu ; on en approuve la publication. Il n’est pas essentiel qu’on soit en accord ou non avec la signification de ce qui est publié.
Si les publications sont émotionnelles, on verse donc individuellement dans une réponse de sensation (et donc pas forcément de réflexion).

Derrière le voyage des mots Facebook, les questions…

Ce petit chemin dans les mots de Facebook par Facebook pose plus de questions qu’il apporte de réponses formalisées. La plate-forme interroge par la place qu’elle a pris dans le quotidien des individus.
Au 59 rue de Rivoli, il est 10h30, le sociologue Jean-Marie Charon clôt la table-ronde avec une phrase d’espoir : “Dans les médias, on peut garder son esprit critique”.

Reste à savoir si ce mot de la fin si finement prononcé se veut à destination des journalistes présents comme intervenants ou pour l’audience clairsemée… ou s’agit-il d’une phrase pour les médias à la recherche d’une réinvention d’un modèle économique qui peut s’affranchir de nouveaux intermédiaires du relais de leur propre information tels Facebook ? Vaste interrogation.

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