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Salle de pédagogie expérimentale à l'universté catholique de Lille // © UCL
Après les Mooc, la classe inversée semble être devenue le nouveau credo des grandes écoles et universités. Effet de mode ou enthousiasme pédagogiquement fondé ? Réponses aux cinq questions en débat.
#1 EST-CE SI NOUVEAU ?
Depuis plusieurs mois, les classes inversées s'immiscent dans pratiquement toutes les conversations. Schématiquement, il s'agit de faire travailler les étudiants en amont du cours, pour consacrer le temps où ils sont présents avec le professeur à d'autres activités : approfondissement de certaines notions, réponse aux questions des étudiants, mais aussi mise en commun des productions, échanges et débats.
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Présentée de la sorte, cette pédagogie n'est pas franchement nouvelle : professeur à l'université catholique de Louvain, Marcel Lebrun, notamment, raconte avoir lui-même eu un enseignant qui pratiquait cette méthode lorsqu'il était étudiant. "L'innovation vient du fait que cette pratique a désormais lieu dans l'enseignement supérieur qui se préoccupait peu, jusque-là, de pédagogie", souligne Luc Chevalier, directeur de l'Esipe (École supérieure d'ingénieurs de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée) et porteur de PédagInnov, l'un des projets de l'Idefi (Initiative d'excellence en formations innovantes) mise en place au sein de l'Université Paris-Est.
Comment expliquer un tel engouement ? "Les classes inversées sont au point de rencontre de plusieurs éléments qu'elles fédèrent, analyse Marcel Lebrun : l'approche compétences, les méthodes actives et le numérique. Celui-ci n'est pas seulement utilisé comme un outil qui vient s'ajouter au cours mais sert véritablement le développement de compétences que les étudiants se construisent par eux-mêmes. C'est cette cohérence qui explique le succès de l'inversion."
#2 EST-CE FORCÉMENT NUMÉRIQUE ?
Si les enseignants n'ont pas attendu le web, les podcasts et les réseaux sociaux pour expérimenter la classe inversée, les outils numériques en facilitent largement la mise en pratique. En effet, outre qu'ils rendent accessibles de nombreuses ressources, ils sont d'une précieuse aide sur le plan logistique, qu'il s'agisse d'organiser un débat entre plusieurs groupes d'étudiants ou de diffuser les présentations réalisées par certains d'entre eux.
Pour Marcel Lebrun, "l'essentiel est de proposer à l'étudiant des activités et de l'interactivité et ce, aussi bien à distance qu'en présentiel". Et de promouvoir des dispositifs hybrides qui mêlent théorie et pratique, compétences et savoirs, mais aussi qui créent des liens entre la classe et la société. Autrement dit, une véritable classe inversée ne se contente pas de donner à lire ou regarder des documents qu'on explique ensuite en cours. Et peut aller jusqu'à ce que Jean-Charles Cailliez, vice-président de l’université catholique de Lille chargé de l'innovation et du développement, appelle la classe "renversée" : "Les étudiants font tout : guidés par l'enseignant, ils construisent l'architecture du cours et son contenu, à l'aide de méthodes de codesign et d'intelligence collective." Une manière d'appliquer la philosophie du DIY (Do it yourself) dans l'éducation.
L'innovation pédagogique, ce n'est pas tout réinventer, mais voir comment on articule de nouvelles façons de travailler avec de plus anciennes. (Jean-Charles Cailliez)
#3 FAUT-IL INVERSER TOUS LES COURS ?
Si les enseignants qui font cours en classe inversée sont convaincus des bénéfices de cette approche, pour autant, il n'est pour eux pas question de renoncer aux cours académiques classiques. Une classe inversée ne s'applique pas à un type d'étudiants ou une discipline en particulier et l'efficacité d'une pédagogie réside, notamment, dans sa variété.
"Il faut alterner !, insiste Jean-Charles Cailliez pour qui "l'innovation pédagogique, ce n'est pas tout réinventer, mais voir comment on articule de nouvelles façons de travailler avec de plus anciennes." Pour ne pas lasser son public, mais aussi parce que, aux dires de tous les enseignants qui la pratiquent, la classe inversée demande beaucoup plus de travail personnel. Garder un équilibre permet de ne pas trop surcharger les étudiants.
#4 EN QUOI CELA MODIFIE-T-IL LES RAPPORTS ENTRE ÉTUDIANTS ET ENSEIGNANT ?
Avec la classe inversée, l'enseignant est amené à changer de posture et, plus largement, à organiser différemment son travail. "On transmet toujours un savoir, mais pas un savoir brut, précise Jean-Charles Cailliez : celui-là, les étudiants vont le chercher et le construire eux-mêmes. On passe plus de temps à réexpliquer les notions, on s'assure davantage que le travail est fait et que les compétences sont acquises."
Dès lors, ce sont aussi les modalités d'évaluation qui doivent être repensées. "En tant que professeur de génétique, il peut m'arriver de noter un étudiant non pas sur sa connaissance d'un mécanisme mais sur sa capacité à aller chercher une information, ou bien à expliquer pourquoi tel schéma est meilleur que tel autre", détaille le Lillois.
Mais encore faut-il que l'enseignant explique clairement le fonctionnement et les raisons de sa démarche, voire argumente face à des étudiants pas toujours convaincus des bienfaits de l'inversion. "Cela les déroute", affirme Luc Chevalier, qui estime qu'il faut "consacrer au moins une heure et demie ou deux heures à présenter l'objectif du cours. Si l'on ne prend pas ce temps-là, le risque est que les étudiants rejettent le principe même de la classe inversée, qu'ils ne fassent pas le travail préparatoire, et que l'on engage un bras de fer"…
L'enseignant doit argumenter face à des étudiants pas toujours convaincus des bienfaits de l'inversion.
#5 LA CLASSE INVERSÉE FAIT-ELLE MIEUX RÉUSSIR LES ÉTUDIANTS ?
Aux dires de ses pratiquants, l'avantage de la pédagogie inversée réside dans le fait depersonnaliser l'enseignement, et de responsabiliser les étudiants. À l'Esipe, Luc Chevalier a pour habitude d'envoyer son cours de mécanique des solides déformables en fichier pdf à ses élèves de première année. "Charge à eux de le lire et de répondre aux petites questions que je pose pour voir s'ils ont compris. Cela me permet de situer les difficultés auxquelles ils sont confrontés et, une fois face à eux, de recadrer si besoin au travers d'exemples et d'applications."
Un dispositif qui a fait ses preuves, d'après les résultats exposés par le chercheur et ses collègues du groupe PédagInnov. "Les étudiants, qui ont des échanges plus réguliers avec l'enseignant, se rendent compte que celui-ci est investi et, en retour, s'impliquent eux-mêmes davantage. La classe inversée n'est pas le seul exemple de ce phénomène, mais la motivation est d'autant plus forte que le suivi est individualisé."
En outre, comme toutes les méthodes actives, la classe inversée permet une mémorisation plus efficace. Ce que relève Jean-Charles Cailliez : "L'étudiant n'aura peut-être pas acquis plus de connaissances que dans le cadre d'une pédagogie classique, mais elles seront davantage ancrées en lui, dans la durée, car il les aura construites lui-même. Il n'aura pas tout oublié deux semaines après les examens."
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