MARCEL LEBRUN, Docteur en Sciences, Professeur en technologies de l’éducation et conseiller pédagogique à l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM) de l’UCL (Université catholique de Louvain, Belgique).
En quoi les Mooc et la classe inversée sont-ils des leviers pour apprendre autrement, quels repères mettre en place pour développer une Pédagogie 3.0 ?
Marcel Lebrun a abordé sa conférence en rappelant le rapport historique que l’homme entretient avec les technologies.
Ainsi, il a insisté sur le discours de Socrate, relaté par Platon (Phèdre 274e-275a), « savoir et mémoire viennent de l’écriture ». Et rappelant la parole du roi d’Egypte face au dieu Theuth, inventeur de l’écriture, il insiste sur la part d’appréhension, voire de rejet, qu’entraine l’avènement de toute nouvelle technologie. L’écriture dans son accès et dans son déploiement est une menace pour l’acquisition de la mémoire ancestrale :
Père des caractères de l’écriture, tu es en train, par complaisance, de leur attribuer un pouvoir contraire à celui qu’ils ont. Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d’exercer leur mémoire, c’est l’oubli qu’ils introduiront dans leurs âmes : faisant confiance à l’écrit, c’est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu’ils se ressouviendront ; ce n’est donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède.
Quel principe de cohérence ?
Marcel Lebrun a présenté le fondement de ce qu’il appelle « l’alignement constructiviste » : une équation qui met en interaction les méth-odes (Odes : chemin), les objectifs et les outils (cf. Alignement constructiviste de Biggs[1] (1999) relu par Marcel Lebrun[2] (2007)).
Cette équation propose de distinguer la diversité des champs investis dans l’apprentissage, fondement de ce principe de cohérence :
- La diversité des outils comprenant les ressources, les informations, les outils de communication, de production…
- Les méthodes qui mettent en scène des problématiques liées aux situations d’enseignement : présentiel/enseignement à distance, pédagogie de la collaboration, pédagogie de projet.
- Les objectifs visés : cognitifs, méthodologiques, transversaux, relatifs à des compétences numériques
Objectifs : apprendre et enseigner
Marcel Lebrun a ensuite approfondi sa réflexion autour des conceptsapprendre/enseigner. Il souligne que cette interaction reste éminemment paradoxale dans toute situation d’apprentissage à l’école.
En effet, Apprendre fait appel à une diversité d’aptitudes et de capacités : écouter, acquérir, accroître, mémoriser, construire, organiser, modifier ses représentations, dégager du sens…
Enseigner, relève de la capacité à transmettre, faire passer, gérer, accompagner, favoriser…
Marcel Lebrun soutient que, lors de la progression des apprentissages, on ne peut pasapprendre quelque chose à quelqu’un, au mieux l’enseignant accompagne, car apprendre reste entièrement l’affaire de l’élève.
Si Enseigner c’est …
- Transmettre de l’information
- Faire passer un savoir
- Gérer des interactions
- Accompagner l’apprentissage
- Favoriser un changement de conception
Alors il faut repenser la corrélation entre contenus/dispositifs/apprenants[3]
Dans le cadre des apprentissages numériques, communiquer, collaborer et créer sont des compétences indispensables à acquérir. La compétence étant définie comme un savoir constitué autour d’une action et d’un contexte précis.
On n’a pas le cerveau vide… on a le cerveau libre (Michel Serres)
Marcel Lebrun a ainsi introduit dans son propos la progression dans l’introduction des technologies dans la classe selon le modèle SAMR[4].
Ce modèle propose quatre phases de progression/assimilation autour de l’usage des TICE dans la classe :
Substitution : sur une même tâche, une nouvelle technologie remplace une plus ancienne technologie – c’est le premier niveau d’usage (ex : remplacer Microsoft Word par Google docs.)
Augmentation : sur une même tâche, augmenter les fonctionnalités, complexifier l’usage de l’outil.
Modification : les différentes parties de la tâche sont modifiées via les TICE, ils participent de la réalisation d’une tâche importante.
Redéfinition : les TICE permettent la création de nouvelles tâches, autrefois impensables.
La formation peut-être ainsi regardée comme la mise à disposition, pour le futur formé, d’occasions où il pourra apprendre. C’est un processus interactif et une activité intentionnelle (Brown & Atkins, 1988)
Par la suite, Marcel Lebrun a rappelé l’analyse proposée par Michel Serres dans la Petite Poucette : il n’y a plus rien à transmettre en terme de savoir[5]. La transmission doit donc se décaler et s’orienter sur les processus d’apprentissages connectés engagés pour l’apprenant du XXIe siècle.
schéma sur les enjeux éducatifs du 21e siècle
Du socioconstructivisme au connectivisme – la genèse des Moocs
L’héritage du socioconstructivisme, comme l’a rappelé Marcel Lebrun, s’ancre dans la certitude que nous apprenons toujours tout seul mais jamais sans les autres.
Le connectivisme (Georges Siemens) se concentre sur les apprentissages connectés en mettant en relief :
- L’apprenant et la variété des connaissances/compétences rencontrées au cours d’une carrière, parfois sans liaison, ni continuité.
- La problématique des apprentissages par rapport à des métiers qui n’existent pas encore.
- L’augmentation des situations d’apprentissage informel, avec des communautés de pratiques, des réseaux personnels, des activités de terrain.
- La formation se fait tout au long de la vie avec une connivence entre les temps/espace de travail et d’apprentissage.
- La Modification du « câblage cérébral » : changement dans nos façons de penser.
- Le Savoir et le savoir-faire est en train d’être supplanté par le « Savoir où et quand ».
Dans cette réflexion, Marcel Lebrun a introduit la place du e-learning dans les apprentissages, à la fois comme une interface de médiation de ressources (TED, Khan Academy) que comme une médiation des interactions. Ces interfaces de e-learning sont préfiguratrices des Mooc.
Il y a Mooc et Mooc
Marcel Lebrun a ainsi abordé la place des Mooc dans les apprentissages connectés. Il a également précisé qu’à l’heure actuelle seuls 10% des étudiants vont au bout de leur Mooc. Il a enfin indiqué la différence entre un Mooc constructiviste, partant du savoir de l’enseignant, et un Mooc connectiviste, articulé autour du réseau et des échanges entre les apprenants où l’enseignant joue un rôle de facilitateur.
Ces plateformes offrent, pour Marcel Lebrun, des dispositifs d’hybridation et d’innovation. Elles permettent de repenser les postures entre savoirs distribués et connaissances, savoirs et compétences, enseigner et apprendre, formation initiale et continue… Elles proposent des espaces de souplesse et de créativité autour de la présence, de la mobilité et de la flexibilité des apprentissages.
Marcel Lebrun a insisté sur la dualité suivante : l’enseignement requiert une présence et l’apprentissage nécessite un rapport à la solitude. En cela, les Mooc viennent contester ce paradigme. Il propose une recombinaison des temps et des lieux d’enseignement et d’apprentissage. Il s’inscrivent dans un nouveau rapport à la présence/distance d’enseignement et redéfinissent la relation enseigner/apprendre.
Lectures at home an homework in classes
La notion très actuelle de flipped classroom (classe inversée) illustre bien cette hybridation. Elle propose dans ses schéma d’enseignement d’utiliser le temps à distance pour préparer les apprentissages et de profiter du temps présentiel pour mener avec les apprenants des activités problématisées (situations-problèmes). Ainsi, le temps de présence en classe est préservé, il est majoritairement orienté sur le partage, la collaboration, la construction collaborative du savoir et le débat participatif.
Classe inversée : nouveau modèle d’apprentissage
Prolonger la réflexion sur les travaux de Marcel Lebrun :
[1] Biggs. J. (1999) Teaching for Quality Learning at University – What the StudentDoes (1st Edition) SRHE / Open University Press, Buckingham.
[2] Lebrun, M. (2007). Quality Towards an Expected Harmony: Pedagogy and Technology Speaking Together About Innovation. AACE Journal, 15(2), 115-130. Chesapeake, VA: AACE.
[3] Adapté de Kember (1997) in M. Romainville : L’échec dans l’université de masse. Paris : L’Harmattan, 2000