En apparence, le rapport formule des préconisations ambitieuses. Le président de la Mission, Jacques Hyest (UMP), et la rapporteure, Corinne Bouchoux (EELV), proposent un changement de paradigme : considérer la publication comme la règle et la non-publication comme l’exception. Ce postulat entraîne plusieurs applications intéressantes :
*L’activité administrative devait toute entière être repensée dans l’optique d’une diffusion future, en optant notamment pour des formats ouverts et lisibles par machine.
*Le rapport favorise une accélération des procédures d’obtention des information publiques. Il existerait désormais un « référé communication » devant le juge administratif sur saisine de la CADA, sous réserve que la demande corresponde à un type de document déjà communiqué antérieurement ou qu’il figure sur une liste de documents appelés à s’ouvrir.
*La CADA pourrait s’auto-saisir, sans attendre l’arrivée d’une demande.
*Enfin, il existerait désormais un open data de l’open data : chaque service doit établir un bilan annuel des documents communiqués (ou des refus de communication). La CADA pourra publier à la fin une liste des « mauvais élèves ».
Mais les ambitions du rapport butent sur un blocage majeur : il n’appelle pas à actualiser la loi de 1978 ; il encourage même son maintien en l’état. Le rapport incite plutôt à développer une politique d’ouverture des données souple, sans passer par une contrainte légale. Lors de la conférence de presse qui a accompagné la publication du raport, Corinne Bouchoux a envoyé des signaux contradictoires. D’un côté, elle a souligné au début de la conférence que les politiques publiques en étaient restées à l’ère du papier et qu’une rupture majeure était nécessaire. De l’autre, elle considère qu’une simple auto-régulation informelle suffit pour changer les choses, sans qu’il ne soit nécessaire d’adapter les dispositifs existants.
Ces positions sont décevantes dans la mesure où la France va devoir transposer d’ici à 2015 la nouvelle directive relative à la réutilisation des informations du secteur public. La mission Etalab travaille à définir le périmètre de cette transposition et SavoirsCom1 a déjà eu l’occasion de défendre l’idée d’une transposition ambitieuse en vue de mettre un Open Data par défaut, qui implique nécessairement une refonte de la loi du 17 juillet 1978. Il n’est pas normal que la politique d’ouverture des données s’appuie uniquement sur des recommandations et fasse peser sur les administrations la décision de s’engager dans la voie de l’Open Data. Une telle approche fait courir le risque d’une rupture d’égalité entre les citoyens, selon qu’ils sont soumis à telle ou telle administration ayant fait le choix ou non d’ouvrir ses données.
Par rapport spécifiquement à l’intervention des membres de SavoirsCom1 devant la mission, les résultats sont mitigés. Nos propositions concernant les métadonnées culturelles ont globalement bien été prises en compte. Par contre, les recommandations sur le domaine public sont préoccupantes — et lesdonnées de la recherche sont totalement oubliées (v. p 180-182 du rapport) :
*Les métadonnées culturelles devraient être normalisées. La notion de droit d’auteur des fonctionnaires est battue en brèche : « le législateur pourrait envisager de préciser dans le code de la propriété intellectuelle que les données collectées par les agents publics relèvent en principe que leur mission de service public et que leurs modifications sont réputées intervenir pour l’intérêt du public ». La réutilisation des données est non seulement possible mais souhaitable : « Il conviendra ensuite de susciter la réutilisation de ces données » (p. 181). Sur le plan des licence, Le CC-By-Sa est envisagée comme une alternative à la licence ouverte : il est jugé « attractif », car il permet « la disposition de toutes les réutilisations conçues par des initiatives privées », même si il peut être dissuasif « à l’égard de certaines initiatives dont l’objet est commercial (p. 183). Le terme d’attractif va dans le bon sens mais ne saurait être satisfaisant.
*Par contre, la partie sur le domaine public entérine le copyfraud : « Seules les œuvres entrées dans le domaine public sont susceptibles de réutilisation sauf si leur numérisation ouvre des droits nouveaux » (p. 181). Et une note de bas de page ajoute « Notamment en cas de conception des photographies d’œuvres en deux dimensions ». Le principe de réutilisation est encouragé mais uniquement à des fins non commerciales : « l’ouverture générale et gratuite des contenus entrés dans le domaine public et numérisés par les institutions culturelles publiques devrait être posée en principe au moins pour toute réutilisation non commerciale ». Dans l’ensemble, il s’agit de généraliser le système de semi-ouverture appliqué par des établissementscomme la BNF. Néanmoins, bien que confortés par la directive, les accords d’exclusivités sur le modèle BNF-Proquest sont dénoncés : « il apparaît souhaitable de ne pas autoriser des partenariats de numérisation comportant des clauses d’exclusivité quand bien même la directive modifiée l’autorise dans son article 11 ». Il n’en reste pas moins que sur cet aspect, le rapport est en retrait des propositions du rapport Lescure, qui avait préconisé de consacrer et de mieux protéger le domaine public numérisé, ainsi même que des récentes recommandations du Ministère de la Culture relatives au domaine public et aux redevances appliquées auxdonnées culturelles.
*Les données de la recherche sont globalement éludées, alors qu’elles constituent pourtant un sujet de plus en plus prégnant. Interrogé à ce sujet par Pierre-Carl Langlais, membre de SavoirsCoM1 présent lors de la conférence de presse, Corinne Bouchoux ‘a confirmé que le sujet n’avait pas été repris dans la discussion finale, mais qu’il pourrait faire l’objet d’un rapport en tant que tel.
Si ce rapport du Sénat peut jouer un rôle positif dans le développement d’une culture de l’Open Data, SavoirsCom1 regrette qu’il reste en retrait sur la question de l’adaptation législative. Un toilettage a minima de la loi de 1978 à l’occasion de la transposition de la directive ne suffira pas à doter la France d’un cadre favorable à une politique exemplaire en matière d’Open Data.
La Commission « numérique » qui a été installée cette semaine à l’Assemblée nationale a elle aussi annoncéson intention de se saisir de la question de l’Open Data.
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