Mémoire et recherche des invariants : "N’en déplaise aux encenseurs des moocs parant ces dispositifs de toutes les vertus, revendiquant la paternité d’une révolution de la formation et de l’éducation, ces dispositifs, qu’ils soient instructionnistes ou connectivistes présentent des défauts qui ne sont pas sans lien avec l’ignorance des différentes formes de formation à distance qui les ont précédés et qui, aujourd’hui, coexistent avec eux"
Sources : Jacques Rodet
« L'imagination
c'est de la mémoire fermentée.
Quand
on perd la mémoire on perd sa faculté d'imaginer. »
Antonio
Lobo Antunes
N’en
déplaise aux encenseurs des moocs parant ces dispositifs de toutes les vertus,
revendiquant la paternité d’une révolution de la formation et de l’éducation,
ces dispositifs, qu’ils soient instructionnistes ou connectivistes présentent
des défauts qui ne sont pas sans lien avec l’ignorance des différentes formes
de formation à distance qui les ont précédés et qui, aujourd’hui, coexistent
avec eux.
La révolution proclamée est soit une large imposture
soit la marque d’un manque de mémoire voire de l’ignorance. Pour ceux qui
douteraient de cette affirmation, je ne saurais trop conseiller, en préambule,
de visionner la conférence de Thierry Karsenti « Mooc
: révolution ou simple effet de mode ? »
L’imposture est opportune aux nouveaux entrants. Elle
leur permet d’apparaitre comme des inventeurs, de gagner à bon compte en image
de marque et en part de marché. Avant eux, c’était l’archaïsme et sans eux il
n’y aurait point de salut. Ils se présentent volontiers comme des bousculeurs,
et il est bien nécessaire d’être bousculé régulièrement. Ils bousculent, mais
en partie seulement car pour parvenir à leurs fins les bousculeurs, les
révolutionnaires, affichent clairement leurs buts. Or, il est remarquable que
les principaux initiateurs de moocs soient peu loquaces sur les leurs.
S’agit-il d’abolir l’institution universitaire ? Ce
serait bien étonnant puisqu’ils en sont issus et qu’ils en vivent. S’agit-il de
trouver un nouveau modèle économique pour les universités ? La faiblesse des
analyses sur ce point permet à certains de reconnaitre leur doxa économique
dans la métaphore de « la ruée vers l’or ». S’agit-il de mettre l’accent sur la
validation des savoir-faire plus que des connaissances ? Le remplacement des
diplômes par les badges (payants) est une réponse un peu courte pour transformer
les universités en nouveaux constructeurs de compétences, somme de savoir, de
savoir-faire et de savoir-être. S’agit-il de réduire l’échec à l’université ?
L’absence de stratégie en faveur de la réussite pour tous qui prévaut dans les
moocs démontre le contraire.
Certains buts semblent effectivement peu avouables :
sélectionner les étudiants, attirer les cerveaux, gagner en influence et
marginaliser les autres acteurs considérés comme concurrents, favoriser
quelques enseignants au détriment des autres… le but ultime étant de
rentabiliser l’activité éducative.
Quels seraient donc des buts utiles et qui pourraient
être revendiqués, sans honte, par les moocs ? Deux exemples.
- Les besoins de formation sont massifs et s’internationalisent. Les universités dans leur forme actuelle ne sont pas en mesure de répondre positivement à l’ensemble de ces besoins. Il faut donc trouver d’autres formules permettant de rejoindre les apprenants potentiels. La mise à distance des parcours de formation constitue une réponse possible et certainement incontournable, mais elle a besoin davantage de coopération entre les institutions que de concurrence débridée, de politiques coordonnées nationalement et internationalement que d'initiatives égotiques.
- L’échec universitaire en première année est massif. Les universités dans leur forme actuelle n’ont pas trouvé, su mettre en place, des stratégies efficaces pour lutter contre cet échec. Il est reconnu que l’échec des étudiants tient à leur manque de préparation méthodologique aux études supérieures, à des lacunes dans l’exercice de leur autonomie et souvent à un manque de connaissances prérequises. Il pourrait donc être utile d’initier des moocs préparant les futurs étudiants à rassembler ces conditions nécessaires à leur réussite. Les besoins en la matière étant transversaux aux universités, leur collaboration permettrait d’atteindre la masse critique nécessaire aux investissements dans un mooc. Cela nécessiterait aussi que les initiateurs des moocs, bien loin des pratiques actuelles, s’intéressent aux étudiants en difficulté et non à ceux qui réussissent indépendamment des dispositifs dans lesquels ils évoluent.
Sans mémoire
Ce qui est surprenant, voire troublant et, avouons-le,
parfois un peu rageant, c’est de constater que les initiateurs des moocs,
ignorent presque tout, du moins ne se réfèrent pas à l’histoire, plus que
centenaire, de la formation à distance. Pourtant, une des promesses initiales
de celle-ci était bien de faciliter l’accès au savoir au plus grand nombre.
L’ancêtre du CNED a été créé pour assurer la continuité du service public de
l’éducation alors que de nombreux élèves étaient en exode lors de la seconde
guerre mondiale.
L’Open University de Grande Bretagne, mis en place en
1969, l'a été pour tourner le dos à l’élitisme du système universitaire
britannique. La formation de plusieurs milliers d’étudiants à distance par la
Télé-université du Québec, chaque année depuis plus de trente ans, a pourtant
doté cette institution d’une réelle expertise pour rejoindre des publics
éloignés. Depuis une dizaine d’années, les licences et masters en FOAD offerts
par de nombreuses universités permettent à des étudiants éloignés de se former.
Un intérêt plus soutenu pour ces pratiques passées et
actuelles permettraient au initiateurs des moocs de ne pas reproduire certaines
erreurs. La plus importante de celles-ci étant de renvoyer l’apprenant à
lui-même ou aux seuls échanges avec ses pairs en ne concevant et ne diffusant
pas de réels services tutoraux.
Ce qui précède attire davantage l’attention sur les
aspects inaboutis des moocs que sur leurs potentialités. Cela paraîtra
peut-être injuste aux plus convaincus des moocs. Pour ma part, je suis persuadé
que les insuffisances des moocs sont redevables à leur jeunesse et à leur
prétention à la révolution faisant table rase de ce qui les a précédés.
L’histoire récente du e-learning a montré que les
effets de mode, même en éducation, passent. Les normes étaient un sujet
incontournable de tout prosateur ou conférencier du e-learning au début des
années 2000. De nombreuses questions et orientations en la matière restent
pourtant pendantes mais c’est passé de mode. Il y a trois ans, ne pas
promouvoir les serious-games était presque une faute professionnelle, du moins
le signe tangible de son inadaptation au temps numérique.
Si aujourd’hui des serious-games sont développés, ils
ont été éjectés de l’actualité. Qu’en sera-t-il des moocs dans deux ans ?
Il faut donc du temps pour y voir plus clair mais
également pour que les moocs arrivent à maturité. Pour ce faire, le temps ne
suffira pas.
Il est indispensable que les initiateurs de moocs,
au-delà des retours d’expériences qui ont tous les atours d’une promotion
médiatique tous azimuts, engagent une réelle réflexion en s’ouvrant au dialogue
avec leurs prédécesseurs en formation à distance et à l’altérité du monde
éducatif.
A minima, plusieurs actions me semblent devoir être
réalisées de manière prioritaire par les acteurs des moocs :
- Abandonner la prétention de la révolution
- Tirer les lecons de l’histoire de la formation à distance
- Affirmer des valeurs et des buts positifs en substituant la collaboration à la compétition
- Identifier sa plus-value sociétale
- Enoncer son modèle économique
- Trouver des solutions pour lutter contre l’abandon massif
- Prendre en compte tous les aspects, et non pas seulement la gratuité, qui rendent accessibles une formation
- Considérer les moocs comme une modalité à associer à d’autres au sein des dispositifs de formation
L’école des Annales au XXe siècle a
profondément renouvelé la pensée et la pratique historique. Elle a mis l’accent
sur les permanences au détriment des ruptures que constituent les événements.
Elle a montré que l’écume de ceux-ci avait moins d’impact sur l’évolution
sociétale que la manière dont les permanences se réactualisent au fil des
époques. C’est pourtant Jacques Le Goff, figure des Annales, qui a produit un
admirable « Saint Louis » en renouvelant profondément la pratique de la
biographie, genre honni du mouvement des Annales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire