Recherche : Reconversion professionnelle et remaniements identitaires
Posted by: Philippe Gauthier
Marguerite de Rorthays est une professionnelle des ressources humaines et de l’accompagnement des carrières. Nous présentons ici un résumé élargi de sa recherche empirique (2013) portant sur :
« L’impact de la reconversion professionnelle volontaire du salarié sur son identité professionnelle »
Introduction
Les recherches empiriques sur l’impact des transformations du monde du travail ( fragmentation, flexibilité, subjectivation, mobilités, hypersocialisation, technologisation…) sur les carrières sont encore assez rares. Si l’idée de devoir changer 8 à 10 fois de métier durant l’ensemble de son parcours professionnel commence à être intégrée par les jeunes générations, les conséquences des nombreuses transitions professionnelles choisies ou non-choisies sont encore méconnues. Au travers de l’étude de Marguerite de Rorthays, voici un zoom sur l’un des cas de figures qui se présente au « navigateur » tout au long de sa vie professionnelle : la reconversion professionnelle choisie.
Qu’est-ce que la reconversion professionnelle ?
Il s’agit du passage d’un métier à un autre (Le Boterf, Négroni). On remarquera que cela dépasse en profondeur le changement d’emploi. Pour Négroni, ce changement d’activité professionnelle implique :
a) Une situation de rupture avec l’activité précédente ;
b) Après une durée d’exercice d’au moins 4 ans ;
c) Selon une décision spontanée et propre à l’individu.
b) Après une durée d’exercice d’au moins 4 ans ;
c) Selon une décision spontanée et propre à l’individu.
Aujourd’hui ces décisions peuvent être accompagnées par de nombreux dispositifs : bilan de compétences, VAE, CIF, aide à la création d’entreprise, etc… D’après une enquête AFPA (2012), 56% des individus connaissent pendant leur carrière, une reconversion professionnelle, volontaire pour un peu plus de la moitié d’entre eux. Plus de la moitié de ces derniers affirment ensuite avoir tiré des bénéfices de cette reconversion (équilibre, épanouissement…).
Qu’est-ce que l’identité professionnelle?
Presque toutes les définitions de l’identité en psychologie et sociologie rendent compte d’une conception duale de l’identité, entre ipséité (fidélité à soi) et mêmeté (ressemblance à l’autre) (Ricoeur). Une dualité en dynamique reprise par Dubar (2002) qui distingue l’identité pour soi (ensemble de transactions ou représentations de soi) et l’identité pour autrui (ensemble de transactions ou représentations pour autrui et manifestées par autrui). Dans notre société du XXIe siècle, la quête identitaire de l’individu post-moderne est devenue une problématique majeure et complexe. A l’occasion des reconversions professionnelles, la « conversion de soi » (Danvers) est un « processus de réflexion et de maturation au cours duquel l’individu devient acteur de sa biographie, repense sa trajectoire et réalise sa vocation ».
La question et la méthode de recherche
Marguerite de Rorthays pose la question suivante : « De quelle manière reconversion professionnelle et conversion identitaire sont-elles liées et comment ? Que peut-on apprendre sur les rapports entre ces deux phénomènes ? «
La démarche méthodologique qualitative utilisée consiste à interroger un échantillon théorique de 7 personnes de 40 à 57 ans, ayant accomplies une reconversion professionnelle volontaire au cours des 1 à 5 années précédentes, sans critère d’âge ni de métier. Le recueil des données s’est fait par entretiens semi-directifs, et l’analyse de contenu thématique a permis d’extraire par catégorisation les idées majeures de ces expériences de vie.
Les résultats de la recherche : 10 idées clés
En amont de la reconversion
1) La reprise d’études initie ou accompagne la reconversion professionnelle, sans forcément augmenter le niveau d’étude. L’idée de « reconversions réparatrices de choix d’orientations antérieurs inappropriés » est assez présente dans les commentaires des interviewés.
2) Une majorité de trajectoires à fortes mobilités (5/7) mais aussi 2 trajectoires antérieurement complètement linéaires.
3) Une compétence à la sérendipité (Danvers) très présente. Saisir les opportunités semble une préoccupation très présente dans les témoignages.
4) La recherche du mouvement dans le parcours professionnel semble également très présente.
Pendant la période de transition professionnelle
5) Les motivations à la reconversion identifiées sont la quête de développement personnel et professionnel, d’épanouissement professionnel, le besoin de défis (ou à l’inverse la fuite de situations sans défis), ainsi que les valeurs (humaines, rapport à la nature…)
6) les déclencheurs sont souvent des phénomènes de stress, burn-out, désengagement au cours d’un congé spécial, les remarques d’un conjoint, une remise en question personnelle.
7) la prise de décision s’accompagne d’une période de réflexion durant laquelle le soutien familial ou de l’entourage est considéré comme très important. Cette réflexion est vécue comme un moment intense de la vie.
8) La souffrance durant la période de transition est évoquée par la plupart des témoins, épreuves, claques, douleurs, mal, remise en questions y sont évoqués, sans toutefois préciser les origines de ces souffrances.
Après la reconversion
9) Les répercussions concernent la baisse du niveau de revenu, généralement considérées comme largement compensée par les gains en réconciliation avec soi-même, en liberté et autonomie, en équilibre de vie, et en reconnaissance (fait unanimement cité).
10) Un bilan jugé positif sans exception, avec une réaffirmation identitaire qui semble se présenter comme une refondation de soi.
En conclusion
Marguerite de Rorthays met en évidence, dans le discours des témoins de ces reconversions professionnelles choisies, quatre points significatifs :
- Une quête identitaire omniprésente dans la démarche de reconversion, recherche de réponse à la question : qui-suis-je, en quoi ce que je fait a-t-il du sens pour moi ? « Un désir de « se trouver » au travers d’une reconversion professionnelle.
- Une affirmation de soi comme réponse à des situations de travail non-satisfaisantes (stress, mauvaise orientation, etc..)
- Une conversion identitaire qui apparait ainsi comme le corollaire de la reconversion professionnelle : à la fois motivation, moteur, effet recherché et effet affirmé, la conversion identitaire semble un processus imbriqué à celui de la transition professionnelle qu’elle suscite, déclenche, instille, accomplie et conclue. La conversion identitaire entraine ainsi un changement de « définition de soi » (Dubar).
- Enfin, Marguerite de Rorthays souligne que ces remaniement identitaires semblent s’accomplir dans une logique d’identisation (Tap), c’est à dire au travers d’un processus dynamique de développement de l’identité qui renforce la prise en compte de la singularité de l’individu, impliquant des stratégies de différenciation.
Mais qu’en serait-il dans les cas de reconversions professionnelles non-choisies ?
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